En marge de la prochaine conférence du mercredi 5 avril 2006 qui nous est proposée par le Service Culturel de l'Ambassade de France sur le thème de : "Vie et mort des langues" par M. Claude HAGEGE, linguiste.
… l'Aliança vous propose à titre d'information les inquiétudes à notre avis justifiées, de Mr. Jacques Myard ( Conseiller des Affaires Etrangères – Député des Yvelines – Maire de Maisons-Laffitte )
L' étendue des territoires d'une langue désigne l'importance de la culture qu'elle y véhicule. Même si notre monde change, évolue vers la complexité, les langues constituent, dans les espaces où elles sont utilisées, des points d'ancrages face aux turbulences que provoque la mondialisation.
Proposition de résolution de M. Jacques MYARD tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la langue française au sein de l'Union européenne et dans le reste du monde, n° 2679, déposée le 16 novembre 2005 et renvoyée à la commission des affaires étrangères.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
… tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la langue française
au sein de l' Union européenne et dans le reste du monde,
Présentée par M. Jacques Myard – Député.
Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
Le français, langue de la République, est notre bien commun, le lien indéfectible de la cohésion sociale. La Constitution française dispose dans son article 2 que « la langue de la République est le français ». La loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, connue sous le nom de loi Toubon, énonce qu'elle est « un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France (…), le lieu privilégié des Etats de la communauté francophone. » Plus que pour aucun autre Etat dans le monde, en raison de son histoire, elle est, dans notre pays, un élément constitutif de son identité, de son indépendance, et de son rayonnement.
Langue de la diplomatie et des traités, le français est reconnu comme langue officielle au sein des institutions de l'Union européenne. Elle est reconnue comme telle par les Nations Unies et au sein de maintes organisations internationales. 56 pays ont le français en partage et quelque 180 millions de personnes le parlent à travers le monde, ce qui la classe au 9e rang.
Cette prééminence oblige notre pays et lui commande de consentir des efforts particuliers en faveur de la promotion du français et de la francophonie. Pourtant, la situation du français est préoccupante. Dans les relations diplomatiques internationales, et au sein de l'Union européenne, dans les échanges commerciaux, les grandes entreprises mondialisées, dans les médias ou l'enseignement, la langue française est en recul face à la domination de l'anglo-américain, autrement qualifiée de « langue de communication internationale ».
Le recul de la langue française est particulièrement net au sein de l'Union européenne dans laquelle notre pays a l'ambition de continuer à être un acteur de poids.
Si, en effet, le français est garanti en droit et ancré dans la plupart des institutions de l'Union qui consacre le principe d'égalité officielle des langues, objet du règlement 1/58 du 15 avril 1958, la réalité est tout autre : son emploi recule, l'élargissement historique de l'Union avec l'arrivée de près de 10 nouvelles langues accentuant cette tendance. Langue officielle et de travail à la Commission et dans les divers organes de l'Union, bénéficiant d'un traitement privilégié dans le système juridictionnel communautaire, le français est plus ou moins ouvertement remis en cause dans les faits, parfois par les hauts fonctionnaires français eux-mêmes.
Cette dérive des institutions européennes vers le tout anglais est spécialement sensible au sein de la Commission et s'opère au mépris des traités.
Ainsi, de nombreux documents envoyés par les institutions de Bruxelles, rédigés exclusivement en anglais, servent désormais de base de travail aux services de l'Etat qui, par facilité, s'interdisent de réclamer l'envoi de versions françaises. Les représentants français tolèrent ces atteintes sous prétexte que la réclamation de textes rédigés en français nuirait à la capacité de réaction lors de la négociation internationale.
Par ailleurs, les exemples d'infractions aux règles linguistiques de l'Union abondent, telles que des annonces de recrutement destinées exclusivement à des candidats de langue maternelle anglaise ou des appels d'offres rédigés en anglais.
Les empiètements dans le domaine linguistique des Etats sont patents, qu'il s'agisse des règles d'étiquetage et de présentation des produits imposées par les directives de Bruxelles ou de la conception prônée par la Cour de Justice qu'il est de moins en moins utile de traduire dans les langues nationales à partir d'une langue « aisément compréhensible ».
De même, la Banque centrale européenne – dont le président, au mépris du droit de l'Union européenne et de sa propre nationalité, il y a quelque temps, n'avait pas hésité à s'exprimer en anglais devant le Parlement européen -, l'Office Européen des Brevets participent à la domination de l'anglais. La réforme des brevets européens, inspirée par le souci de réduire le coût du dépôt, a conduit à la signature du protocole de Londres en 2001 avec la mise en place de langues « pivot ». Ce texte, s'il était ratifié, porterait une atteinte grave à la place du français dans la désignation des nouveautés scientifiques et techniques.
Au sein des enceintes internationales, au FMI comme à l'ONU, à l'OMC comme à l'OCDE, à l'OTAN, le nombre de pays s'exprimant en français a fortement décru. De plus, les exemples abondent de la préférence donnée à l'anglais par les représentants français, ce en dépit de la circulaire du 14 février 2003.
Ainsi, le personnel de la force militaire intégrée de l'OTAN dernièrement implantée à Lille est tenu de travailler, de s'exprimer et d'exécuter les ordres en anglais.
De même, lors des derniers Jeux Olympiques qui se sont déroulés à Athènes, des violations flagrantes de l'usage du français ont été constatées.
La question de la place du français sur la scène internationale pose évidemment le problème de l'enseignement, des moyens que notre pays veut se donner pour attirer les meilleurs étudiants notamment du monde francophone, de l'efficacité des instituts culturels à l'étranger, au nombre de 150 dans 90 pays, de la formation des non-francophones au français. A la différence d'autres langues, espagnol, chinois ou arabe, la langue française n'a pas l'atout maître de la démographie comme langue maternelle. Elle dépend majoritairement de son apprentissage et des formes d'enseignement. Les anglo-saxons exercent à cet égard une très forte concurrence dans leur offre de systèmes éducatifs, école de commerce, d'ingénieurs ou universités, et mènent une puissante offensive qui doit nous pousser à agir plus vigoureusement en ce domaine.
Toutefois, ce déclin n'est pas une fatalité ni le combat pour le respect et la promotion de la langue française une attitude d'arrière-garde. Ce combat n'est pas un repli défensif et frileux sur notre langue et le pré carré français, un refus d'ouverture au monde ; il se veut au contraire une attitude dynamique de valorisation et de promotion de la langue et, à travers elle, de la préservation de la diversité et richesse culturelle et linguistique du monde. C'est cette ambition que les autorités françaises ont défendue avec succès au sein de la convention de l'UNESCO sur la diversité linguistique et culturelle. Les pays étrangers attendent donc que la France donne l'exemple du respect de sa langue, y compris sur son territoire où elle est particulièrement malmenée : comment demander à nos partenaires d'utiliser notre langue si nous-mêmes avons renoncé à nous en servir ?
Une prise de conscience des enjeux de l'abandon du français s'opère au sein des médias, de la presse, chez certaines élites et nos concitoyens, tandis que les syndicats sont de plus en plus prompts à dénoncer les atteintes portées contre l'usage du français.
Une langue est une structure de pensée, elle est aussi un atout économique dans le monde d'aujourd'hui. La valorisation de nos produits et de nos biens, de notre patrimoine, de notre image dépend de notre capacité à préserver notre langue et à favoriser son rayonnement.
Il incombe désormais aux Représentants de la Nation de débattre de son avenir linguistique.
Sur un thème qui dépasse de loin les clivages partisans, une commission d'enquête est de nature à dresser un état des lieux, d'évaluer l'étendue de ce déclin, ainsi que ses raisons profondes.
Elle aura pour objet de mesurer ses conséquences, sa portée et de proposer les axes et les moyens qui permettront de réaffirmer la place de la langue française en Europe et sur la scène internationale.
Telle est la proposition de résolution que je vous prie, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter. /……..